top of page

SCI : quand la valeur de productivité fausse l’évaluation… et comment y remédier lors d’un contrôle fiscal !

  • ccodet1
  • 8 avr.
  • 11 min de lecture



Au cours d’une conférence de la Compagnie des Experts en estimations immobilières, Monsieur le professeur Yves CHARTIER a considéré que l’évaluation des parts de société civile immobilière (ci-après « SCI ») était un sujet « à peu près impossible ».

 

Juridiquement, le législateur s’est abstenu de cadrer ce sujet aux forts enjeux fiscaux.

 

L’évaluation d’une SCI constitue pourtant, conformément aux dispositions de l’article 666 du Code général des impôts (ci-après « CGI ») l’assiette de la créance fiscale en matière d’impôt sur la fortune immobilière et de droits d’enregistrement.

 

La jurisprudence judiciaire considère que la méthode primordiale en la matière doit être la méthode de comparaison. Il s’agit ici de comparer la cession de parts de SCI intrinsèquement similaires - et notamment celles tirées de cessions antérieures portant sur des titres de la même SCI - dès lors qu’elles ont été réalisées à des dates récentes et dans des conditions équivalentes (Cass. com., 2 déc. 1997, n° 95-22.256).

 

En dehors de cette hypothèse, comparer les cession de parts de SCI différentes peut s’avérer être un exercice relativement difficile. C’est pour cela qu’il existe, alternativement, deux autres approches principales pour évaluer une SCI 

  • Une approche fondée sur le « patrimoine », tournée vers le passé ;

  • Une approche fondée sur le revenu net, tournée vers le futur.

 

Ces deux méthodes sont le plus souvent cumulatives, dans la mesure où la Cour de cassation considère de manière constante que la méthode patrimoniale ne peut constituer la seule base d’évaluation fiscale (Cass. com., 23 avr. 2003, n° 99-19.901).

 

Ainsi, étant donné que la seule valeur patrimoniale ne peut suffire, il convient d’affiner cette valeur d’une autre méthode de valorisation. Dans ce cadre, les méthodes de rendement sont usuellement combinées avec cette valeur patrimoniale.

 

Ce cumul des méthodes se traduit par une pondération (i.e. le plus souvent le résultat de 3 valeurs patrimoniales – voire 4 – sur une valeur de rendement).

 

Ces deux méthodes de rendement, appelées « valeur de rendement » et « valeur de productivité » se fondent sur la capitalisation.

 

La capitalisation s'entend de la somme actualisée d'une suite infinie du montant de référence : bénéfice distribué (i.e. valeur de rendement) ou bénéfice disponible (i.e. valeur de productivité).

 

Ainsi, et en ce qui concerne la valeur de productivité, la capitalisation consiste à projeter virtuellement les bénéfices futurs de l’entreprise sur une durée infinie. Étant donné qu’un euro aujourd’hui vaut plus qu’un euro demain, il convient d’actualiser ces bénéfices futurs, c’est-à-dire de ramener leur valeur future à une valeur présente. Cette opération permet de déterminer la valeur actuelle de l’entreprise, en prenant en compte la rentabilité qu’elle générera dans le temps.


  • La valeur de rendement est utilisée pour les SCI qui ont une politique de distribution du bénéfice qui est forte, ou pour les participations minoritaires (i.e. le cessionnaire d’une participation minoritaire cherche en priorité à encaisser un dividende). Assez logiquement, l’on capitalise ici le bénéfice distribué ;

  • La valeur de productivité est couramment utilisée pour les SCI à caractère familial, qui ne distribuent généralement que peu de dividendes. Etant donné que le bénéfice n’est pas distribué, l’on capitalise ici le bénéfice distribuable.

 

En définitive, la valeur de productivité est utilisée dans la grande majorité des évaluations de SCI compte tenu de leur composition et de leur politique de distribution.

 

Nous remarquons que cette valeur productivité est de plus en plus utilisée par les services d’assiette pour rectifier la situation fiscale (i.e. en matière d’impôt sur la fortune immobilière et de droits d’enregistrement) des contribuables qui détiennent des SCI.

 

Cette notion consiste à capitaliser l’ensemble du revenu net après impôt, peu importe que le bénéfice soit distribué ou mis en réserve. Cette valeur est déterminée par le rapport suivant :

 

Bénéfice capitalisable (I.) / Taux de capitalisation (II.)

 

I.                   Au numérateur : la détermination du bénéfice à capitaliser pour une SCI

 

  • Le bénéfice à capitaliser est un bénéfice comptable :

 

Selon le guide d’évaluation des entreprises de l’administration fiscale, « le bénéfice à retenir est établi à partir du résultat net courant (résultat courant avant impôt, minoré de l’impôt sur les sociétés) » (L'EVALUATION DES ENTREPRISES ET DES TITRES DE SOCIETES », 2006, p. 47).

 

La Cour d’appel de Paris, validée par la Cour de cassation, a pu valablement considérer que « le résultat net comptable est une définition normative définie par le plan comptable » et que « que la référence à cette norme par l'administration fiscale dans son guide « d'évaluation des entreprises et des titres de sociétés » impose alors d'en respecter la définition ».

 

Pour autant, certains services de l’administration fiscale considèrent qu’il faut appliquer la notion fiscale du résultat et en tirent toutes les conséquences qui y sont attachées.

 

Ainsi, certains services d’assiette effectuent des réintégrations extracomptables, ce qui a pour effet d’augmenter le bénéfice capitalisable.

 

Or, pour rappel, la valeur de productivité est une méthode de valorisation qui repose sur la capitalisation d’un bénéfice disponible.

 

Selon nous, il serait incohérent que les règles fiscales – qui ont pour unique fonction de liquider l’assiette de la créance de l’Etat – permettent de déterminer financièrement un bénéfice pour valoriser une entreprise sur un marché donné, sous réserve que celles-ci ne constituent pas des réintégrations intracomptables.

 

Comme le rappellent les dispositions de l’article 38 quater de l’annexe III du CGI, les normes comptables constituent le droit directeur sous réserve de l’absence d’incompatibilité avec les règles applicables pour l’assiette de l’impôt.

 

Il en résulte que, selon nous, le bénéfice à capitaliser doit être fondé sur une notion comptable, et non fiscale.

 

  • Le bénéfice à capitaliser est le résultat net courant avant impôts :

 

            Ce qui exclut les résultats exceptionnels

 

En principe, le bénéfice à capitaliser se détermine à partir de l'analyse du compte de résultat.

 

Comme il s’agit d’un résultat net courant avant impôt, et conformément aux dispositions de l’article 842-1 du Plan comptable général, celui-ci comprend :

  • Le résultat d’exploitation ;

  • Le résultat financier.

 

Dès lors, les produits et charges exceptionnels sont expressément exclus dans la prise en compte du bénéfice à capitaliser et doivent être retirés du calcul du numérateur.

 

Dans le cadre de la détermination du bénéfice à capitaliser d’une SCI, il convient d’exclure l’ensemble des charges considérées comme exceptionnelles au sens comptable. Il en est ainsi, notamment :

Des amendes ;

  • Des créances devenues irrécouvrables ;

  • Des cessions d’immobilisation ;

  • Les remplacements de composants ;

  • Ou encore certains travaux de particulière envergure.


Ce qui inclut les amortissements

 

Le résultat d’exploitation correspond à la différence entre les produits d’exploitation et les charges d’exploitation.

 

Conformément aux dispositions de l’article 821-4 du Plan comptable général, ces charges comprennent notamment les dotations aux amortissements.

 

Dès lors, le numérateur au sein du rapport qui permet de déterminer la valeur de productivité prend en compte les dotations aux amortissements.

 

Cette interprétation est approuvée par la Cour de cassation dans le cadre de l’évaluation d’une société civile immobilière par la valeur de productivité (Cass. com. 24-10-2018 no 17-17.597 F-D).



II.                Au dénominateur : la détermination du taux de capitalisation

 

Le taux de capitalisation reflète le rendement attendu par un investisseur sur un marché financier donné, en prenant en compte le risque de l’entreprise et les alternatives d’investissement sur le marché.

 

  • Le taux de capitalisation prend en compte des données macroéconomiques communes à toutes les entreprises :

 

            Le taux de base

 

Il est défini comme étant le taux de rendement attendu par l'investisseur dans le cadre d'un arbitrage opéré par rapport à d'autres placements.

 

En d’autres termes, il s’agit tout simplement du taux minimum de rendement qu’attend un investisseur sur un marché financier.

 

Etant donné qu’il s’agit d’un rendement minimal, les praticiens utilisent couramment – en matière de valorisation fiscale – le taux moyen annuel des emprunts d’Etat à échéance 10 ans.

 

Ce support d’investissement est considéré comme étant celui qui est le moins risqué : par conséquent, il constitue à la fois le support avec le rendement le plus faible (i.e. couple rendement/risque) ainsi que le rendement minimal d’un investisseur sur un marché financier.

 

Or, si le taux de ces obligations diminue, cela se traduit mécaniquement par une augmentation de la valeur de productivité de la SCI évaluée. Pourquoi ?

 

Mathématiquement, lorsque le dénominateur diminue à un rapport, la valeur de la fraction est plus élevée (ex : la valeur de 10/5 est plus petite que 10/2).

 

Financièrement, un investisseur aura moins de difficultés à investir dans une SCI qui est en théorie un investissement plus risqué qu’un OAT sur 10 ans lorsque ce dernier dispose d’un faible rendement.

 

Très concrètement : si le taux de l’OAT est de 3,5%, alors cet investissement reste très intéressant compte tenu du faible risque de ce placement. Dès lors, l’investisseur aura plus de difficultés à se tourner vers un placement plus risqué, comme une SCI.

 

En revanche, si le taux de l’OAT est de 0,1%, cet investissement sera boudé et ce, nonobstant le faible risque de ce placement. Ainsi, l’investissement en SCI se présentera comme une alternative beaucoup plus intéressante, ce qui augmentera sa valeur sur un marché.

 

Dans ce cadre, les taux étaient de 0,17% en 2019, - 0,11% en 2020 et de 0,03% en 2021.

 

Ces taux historiquement bas s’expliquent par les différentes crises financières intervenues début des années 2010 (e.g. crise financière de 2008, crise de la dette européenne de 2010 etc.). Pour relancer l’économie, les banques centrales ont adopté des politiques monétaires ultra-expansives, ont réduit leurs taux directeurs à des niveaux proches de 0% - voire négatifs pour la BCE - et ont programmé des achats massifs d’obligations d’Etat.

 

Les taux des obligations souveraines étant directement influencés par ces taux directeurs, le rendement de ces supports ont connu la même baisse.

 

Cela crée une véritable problématique dans l'évaluation des entreprises : si un taux artificiellement bas est utilisé, cela surévalue les entreprises. 

 

            L’inflation sous-jacente

 

La méthode de valorisation par la productivité repose sur la capacité de l’entreprise à générer un résultat reproductible dans le futur.

 

Dans ce cadre, l'inflation impacte les résultats passés, car leurs montants en euros courants ne reflètent plus la même valeur réelle aujourd’hui et les taux de base, car ceux-ci incluent une composante liée à l'inflation future anticipée.

 

Le pic inflationniste de l’année 2022 a entrainé une surestimation temporaire des valorisations et un taux de capitalisation artificiellement élevé si l’on ajuste directement avec l’inflation ponctuelle.

 

Afin de tenir compte l’inflation exceptionnellement élevée de l’année 2022, et de capturer une cycle économique complet cohérent avec un contexte d’inflation volatile, nous appliquons un lissage des taux d’inflation sur une durée de 10 ans en pondérant les années récentes plus fortement.

 

Dès lors, la moyenne pondérée des taux d’inflation est la suivante :

  • 1,37% pour l’année 2022 ;

  • 0,74% pour l’année 2021 ;

  • 0,64% pour l’année 2020.


  • Le taux de capitalisation prend en compte des ajustements spécifiques à l’entreprise évaluée et à l’année d’évaluation:  

 

La prime de risque 

 

Il s’agit du surplus de rentabilité exigé d’un investissement risqué par rapport à la rentabilité d’un actif sans risque (i.e. une rentabilité quasi-certaine, connue à l’avance, et un remboursement moins risqué). En soi :

 

Taux de rentabilité d’un actif risqué = taux de rentabilité d’un actif non risqué + prime de risque

 

Le taux de rentabilité d’un actif sans risque a préalablement été déterminé (i.e. le taux de base déflaté de l’inflation). Il s’agit ici de déterminer le niveau de risque de l’entreprise évaluée pour ajuster sa valeur de productivité. 

 

En effet, puisque le risque et la rentabilité attendue sont liés : plus le risque perçu sera élevé, plus grand sera le rendement attendu par les investisseurs. Le risque se décompose de la manière suivante :

 

i). Le risque de marché, qui touche la quasi-totalité des entreprises. La prime de risque du marché, historiquement et à la Bourse de Paris, fluctue autour de 5%.

 

ii). Le risque spécifique à l’entreprise et à son secteur (e.g. fonction du risque interne d’exploitation et du risque externe lié à l’environnement, la concurrence, la technologie...). En principe, en ce qui concerne le secteur immobilier, un coefficient de 0,3 à 0,5 est appliqué par l’administration fiscale.

 

Comme expliqué précédemment, si le coefficient de risque est élevé, l’investisseur exigera un rendement supplémentaire qui réduira d’autant la valeur de la SCI.

 

Dans ce contexte il y a lieu, selon nous, de distinguer entre les bailleurs commerciaux et les bailleurs d’habitation.

 

Le bail commercial est caractérisé par un terme très long et une rupture très encadrée légalement ce qui diminue le risque de vacance locative et permet de préserver une stabilité financière pour le bailleur.

 

En revanche, le bail d’habitation est caractérisé par :

  • Une résiliation possible à tout moment qui peut entrainer un taux de rotation locative très élevé ;

  • Une procédure d’expulsion très protectrice du locataire ;

  • Une rentabilité moins élevée.


De même, il conviendrait de distinguer – au sein des baux d’habitation – les locations longues durées et les locations saisonnières, notamment en termes de rentabilité ou de vacance locative.

 

Ainsi, toutes les activités de location immobilière ne présentent pas le même risque d’un point de vue financier. En matière d’évaluation de SCI, le risque spécifique prendra en compte ces éléments.

 

La prime conjoncturelle 

 

Compte tenu i) de la vision à long terme de la méthode de productivité et ii) des circonstances financières historiquement exceptionnelles, il convient de tempérer ces valeurs sporadiques par l’application d’une prime conjoncturelle.


Cette prime correspond à un ajustement appliqué au taux de capitalisation pour tenir compte des conditions économiques ou sectorielles temporaires, et notamment :

  • De l’impact de l’inflation sur le taux de base ;

  • De la politique d’assouplissement quantitatif des banques centrales ;

  • Des chocs ponctuels qui affectent les secteurs ou entreprises (i.e. crise sanitaire de 2020).

 

Cette prime conjoncturelle permet de corriger les distorsions créées par un contexte macroéconomique particulier et ajuste le taux de capitalisation pour tenir compte de ces risques spécifiques, afin de rester cohérent dans l'évaluation des actifs ou des entreprises.

 

La prime conjoncturelle permet un ajustement spécifique pour des conditions exceptionnelles actuelles. Elle permettra d'améliorer la robustesse de la moyenne tout en limitant l’impact des données aberrantes résultant des politiques monétaires.

 

De plus, les services de l’administration fiscale appliquent usuellement cette prime conjoncturelle pour ces dernières années compte tenu de ces circonstances.

 

Dans ce contexte, l’administration fiscale a appliqué cette méthodologie financière pour l’un de nos dossiers qui concernait l’impôt sur la fortune immobilière des années 2021 et 2022.

 

La notion de valeur de productivité repose sur des fondements juridiques et économiques particulièrement complexes.


En effet, elle suppose une projection des performances futures de l’entreprise, qui repose elle-même sur des hypothèses économiques incertaines, souvent éloignées des données objectivables et vérifiables.


La valeur de productivité est influencée par une pluralité de facteurs macroéconomiques qui échappent en grande partie au contrôle de l’entreprise elle-même.


Cette dépendance à des variables externes, difficilement prévisibles et parfois volatiles, est de nature à altérer la robustesse et la fiabilité de l’estimation économique qui en découle.


Elle introduit un biais potentiel dans l’appréciation de la valeur de l’entreprise, en particulier lorsque cette valeur est mobilisée dans un cadre juridique nécessitant stabilité, sécurité juridique et prévisibilité (comme en droit fiscal, en droit des sociétés ou en droit patrimonial).

 

Fort de son expertise reconnue en droit des sociétés et en fiscalité, le cabinet intervient régulièrement sur des dossiers impliquant des questions sensibles de valorisation d’actifs et d’entreprises, dans des contextes variés allant du contrôle fiscal au contentieux.

 

Le cabinet se tient naturellement à votre disposition pour vous accompagner sur ces problématiques complexes d’évaluation, en particulier lorsqu’elles interfèrent avec des enjeux juridiques ou fiscaux.

 

 


Exemple:


Soit une SCI soumise à l’IS dont le résultat net comptable et l’IS sont les suivants au titre des années :

  • 2022 : 85.000 €, avec un IS de 21.250 € ;

  • 2023 : 100.000 €, avec un IS de 25.000 € ;

  • 2024 : 50.000 €, avec un IS de 12.500 €.

 

Le but est de calculer sa valeur de productivité au titre de l’année 2025. Le résultat pondéré de la SCI, facteur du produit de la valeur de productivité, est alors d’un montant de 54.375 € ({[63.750 1] + [75.000 2] + [37.500 * 3]} / 6).

 

Ainsi, l’on considère que la SCI reproduira virtuellement un résultat net comptable de 54.375 € sur une période infinie. Pour actualiser ces résultats futurs sur une valeur actuelle, il convient de calculer le taux de capitalisation.

 

Le taux de base de l’année 2024 est de 3,02%. L’inflation sous-jacente pour cette même année est de 1,83. Ainsi, le taux de base déflaté est de 1,19%. La prime de risque et le bêta pour une SCI exerçant une activité de location immobilière sont généralement de 5% et de 0,5. Le produit de ces facteurs donne 2,5%.

 

Par conséquent, le taux de capitalisation est de 3,69%. Ainsi :

  • Au numérateur : 54.375 € ;

  • Au dénominateur : 3,69%.

 

La valeur de productivité de la SCI est de 1.473.577 €.





 


 
 
 

Comments


bottom of page